vendredi 3 mars 2017

Fourvoirie en Chartreuse : une association à l’œuvre

L’Écho de Proveyzieux N° 152 (printemps 2015), le périodique publié chaque trimestre depuis plus de 40 ans dans cette commune a raconté l’histoire extraordinaire des liqueurs de Chartreuse. Cette histoire a laissé un patrimoine bâti imposant au site de Fourvoirie, lequel aurait pu disparaitre si une association courageuse n’avait pas pris les ruines en main. C’est l’histoire du site et de cette association «Les œuvriers de Fourvoirie» que nous allons vous rapporter.

Histoire industrielle du site


La fabrication de l’élixir de longue vie, ancêtre des liqueurs de Chartreuse avait lieu à l’origine au Monastère. Mais, les succès commerciaux obtenus après le retour des moines au Monastère en 1816 (ils en avaient été chassés par la Révolution en 1792) conduisent ceux-ci à construire une distillerie, véritable usine de fabrication et de stockage, de 1860 à 1862, sur le site de Fourvoirie dans la gorge du Guiers, à 1,5 km à l’amont de St-Laurent-du-Pont.
Pendant 40 ans, le site prospère. Mais, en 1903, a lieu le deuxième exil des Chartreux (ils ne reviendront au Monastère qu’en 1940). En 1906, une société privée rachète les locaux de Fourvoirie et les marques de fabrication (cependant, les Chartreux continuent à produire en Espagne une liqueur nommée «Tarragone»…). En 1915, Fourvoirie est réquisitionné par l’armée…
En 1929, une deuxième société privée reprend l’affaire avec l’aide de quelques Chartreux…
Mais, en 1935, un important glissement de terrain va détruire une partie des bâtiments et couper véritablement l’usine en deux… Le transfert des stocks et des activités a lieu vers Voiron. L’ancienne usine est même «nettoyée» par les Chartreux (vente de toitures, tuiles et charpentes, pierres et escaliers...). Le site de Fourvoirie est définitivement fermé en 1938…
L’ONF (Office National des Forêts), propriétaire au titre des Domaines, maintient un bâtiment annexe de la distillerie en état ; mais le reste, totalement abandonné, tombe en ruine… ; on parle même de destruction pour des raisons de sécurité…
Les ruines seront sauvées par une inscription à l'inventaire supplémentaire des Monuments Historiques du Département, proposée par Jacques Pichon-Martin, Conseiller Général de l'époque (inscription officiellement datée du 20 septembre 1993). Ce qui n'empêche nullement le désintérêt de tous... et la végétation de gagner du terrain pour tout recouvrir.

Histoire des « œuvriers »

Il était une fois ... deux conseillers municipaux, adjoints de surcroît, qui visitent et réfléchissent au devenir du site. La disparition subite et prématurée de l'un d'eux enterra le dossier pour plusieurs années jusqu'à ce qu'un entrepreneur local soit consulté pour un travail de «protection». Il fallait d’abord, de toute évidence, nettoyer les abords, permettre un accès du site, avant d’effectuer tout travail de consolidation. De là, la création d’une mini équipe de nettoyage, bientôt suivie d’une plus grande, car le site, avec ses caves voûtées, sa cheminée encore debout en valait vraiment la peine. Nous sommes en 2004 ; l'affaire est lancée, et l'association "Les œuvriers de Fourvoirie et des Gorges du Guiers Mort naît en juin 2005, pour être légalement enregistrée en novembre 2005. L'histoire dure encore !
Les moyens se résument au départ à une vingtaine de "vrais mordus", 0 euro en poche, armés de matériel de récupération (brouettes, pelles, seaux...) et avec de l'huile de coude à faire déborder le Guiers...
D'une façon générale, l'ensemble des ruines est recouvert de terre du glissement, de broussaille dense et drue et, pour couronner le tout, d’arbres âgés de plus de 70 ans... Dans le détail, on trouve environ 80 cm d’humus dans la salle des «Plantes» (1er étage), dans celle des «Tommettes», ou encore celle des «Vieillissements» ; et on atteint plus de trois mètres d'épaisseur de terre en lieu et place de la Chaufferie... Quand on parle de terre, il s'agit plutôt d'un mélange de terre, d'éboulis, de pierres descendues avec le glissement ou de murs éboulés, de vestiges de charpente et de ferrailles tordues, sans oublier quelques déchets de poubelles généreusement balancés ...
Les travaux commencent par les accès : dégagement de passages, création d'un chemin, dégagement d'une cour pour permettre le tri des pierres, ferrailles et bois .... Cela dure une bonne dizaine d'années. On nettoie et on conforte aussi les murs : murs mitoyens, murs de jardin, cheminées, chaufferie (avec récupération des restes des fours).
La grande cheminée a fait l'objet d'une étude poussée puis d'une consolidation imposante : rejointoiement des briques, couronne sommitale refaite, consolidation des assises. Trois années ont été nécessaires pour conduire ces travaux.
Les caves voûtées sont sans doute l’élément architectural le plus impressionnant et le plus beau. Elles ont été nettoyées, débarrassées des gravats ; et sont restées dans leur "jus", officiellement protégées...
Des toitures de sauvegarde ont paru nécessaires aux Oeuvriers. Cependant, ils n’ont pas d’autorisation pour intervenir, puisque les ruines sont classées. Une toiture est pourtant mise en place sur la salle dite des Tommettes et brave l'incohérence : il est défendu d'intervenir, mais c'est un mieux pour la conservation du patrimoine d’avoir mis la salle hors d’eau !
La ruine est considérée comme dangereuse par son propriétaire ; qui plus est, elle est inscrite à l'inventaire. Comme telle, elle est «interdite d'accès». Donc pas de visites officielles, pas d'entrées autorisées en théorie (sauf dans les jardins, «hors ruines»... ). Les Oeuvriers (une quarantaine de membres), de samedi en samedi, poursuivent leur travail et accueillent les curieux, les amis, tous ceux qui en passant donneront aussi un peu de temps pour les travaux. On ne compte plus les heures ; et, chaque samedi depuis plus de 10 ans, le site revit dans une ambiance laborieuse et conviviale.
Aux dernières nouvelles, les chantiers se poursuivent dans un nouveau contexte administratif, puisque la Commune de St-Laurent devient propriétaire du site. L’Association espère en conséquence une clarification de son statut, la reconnaissance de son action et l’arrivée de nouveaux moyens et de nouveaux bénévoles prêts à œuvrer encore pour la sauvegarde du patrimoine de la Chartreuse. Avis aux amateurs !
Mais, pour découvrir le site et rencontrer les Oeuvriers, le mieux est de se rendre sur le site un samedi matin prochain…

Denis Fabre et Bernard Sauvageon (Président des Oeuvriers de Fourvoirie).
contact : oeuvriers.fourvoirie@laposte.net
Article publié dans le revue "L’Echo de Proveysieux"

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