Pour faire suite à l'article paru sur ce blog faisant synthèse d'une enquête sur le télétravail à Proveysieux, voici un témoignage personnel d'un habitant.
Le télétravail, alliage encore assez méconnu entre nos vies professionnelles et personnelles, est testé à grande échelle et de façon intensive, ici, sur nos pentes raides de Proveysieux, et ailleurs, dans les plaines. Quelques câbles de cuivre nous relient à notre existence professionnelle, une maison aux recoins tranquilles redécouverts, des chaussons au bout des pieds pour travailler : quelle drôle d’époque !
Notre sociabilité est mise à l’épreuve par le télétravail : qui n’a pas déjà repensé au plaisir d’une pause-café entre collègues, un moment si banal aux conversations si futiles ? Ne nous construisons-nous pas par rapport au regard des autres ? L’idée du collectif est sérieusement mise en berne pendant cette période malgré les groupes virtuels informels, le fleuve de courriels ininterrompus. A cette femme de ménage à qui l’on souriait tous les matins, à cet agent qui regardait nos badges à l’entrée, à cette cantinière que l’on remerciait mécaniquement, à ce syndicaliste qui venait nous informer sur nos droits, à ce chef qui nous invitait pour un pot afin de resserrer les liens entre nous, à ce visiteur, à ce commercial… Nous essayons de créer d’autres liens : à ce marché que l’on peut faire les jours de semaine, à ce facteur oublié qui coupe notre journée en nous livrant quelques colis, à cette balade champêtre dans les chemins de Proveysieux et ses bonjours échangés.
Notre intimité est également rongée par le télétravail. Ce lieu de vie personnel que l’on souhaitait sanctuariser et qui est devenu un lieu de travail. Qui n’a pas souhaité flouter son arrière-plan pendant les réunions virtuelles ? Qui n’a pas expérimenté un brossage de dents suivi quelques instants plus tard d’une réunion ?
Malgré que le télétravail diminue la pollution et les bouchons, il relève aussi l’importance de ce moment de transition entre le travail, souvent extensible à l’infini, et notre chez-nous qui peut être le moment de quelques efforts physiques en poussant sur les pédales, de vivre une immersion dans les transports en commun pour y croiser quelques regards d’inconnus, ou d’une solitude bienfaitrice dans sa voiture.
Notre communication doit également être révisée. Les interactions amoindries pendant les réunions génèrent souvent de la frustration et de l’incompréhension : qui ne regrette pas la facilité d’un regard, d’une expression physique ou d’un petit coup de crayon pour mieux communiquer ? La prédominance de la voix dans la communication à l’insu de la gestuelle est notre quotidien. Ces microphones qui s’entrecoupent, exagérant la tendance à celui qui veut toujours s’imposer ou se montrer. Certains traits des visages de nos collègues s’effacent de notre mémoire. Ce banal « bonjour » de chaque matin qui ne permet plus de détecter le collègue qui a besoin de bienveillance aujourd’hui.
Si chaque Proveysard télétravailleur vit une expérience différente, je suis sûr que nous avons tous expérimenté l’odeur salvatrice du rôti qui cuit dans le four quand nous travaillons, ces plaisirs qui en ont remplacé d’autres. A ce moment qui permet de prendre du recul sur nos habitudes. Aux fourneaux pour travailler cet alliage !
Gael Pillonnet, Rigaudière (avec accord de publication)
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